Désinfox Débat Attal-Bardella : qui dit vrai sur l’exécution des OQTF ?
La tête de liste du Rassemblement national pour les Européennes et le Premier ministre ont largement débattu jeudi d’un sujet central dans la campagne : l’immigration. Quitte, parfois, à minorer ou exagérer certains chiffres…
Le sujet de l’immigration a occupé une place centrale dans le débat jeudi soir entre le Premier ministre Gabriel Attal et la tête de liste RN pour les Européennes Jordan Bardella. Le sujet devrait être « la première priorité de l’Union européenne » pour 42 % des électeurs dans les années à venir, selon un sondage Ipsos pour France Télévisions. Loin devant la lutte contre le changement climatique (32 %) et l’inflation (31 %).
Évoquant le pacte asile-immigration récemment adopté par l’UE, la journaliste Caroline Roux a d’abord rappelé que l’Union européenne a accueilli l’an dernier 2,5 millions d’étrangers dont 380 227 illégaux, selon la Commission européenne.
« 5 % » d’exécution des OQTF selon Bardella, « presque 15 » selon Attal
Ces chiffres-là, issus de l’agence Frontex, n’ont pas fait débat. En revanche, Jordan Bardella a accusé le gouvernement mené par Gabriel Attal d’avoir « le plus faible taux européen pour les OQTF (obligations de quitter le territoire français) : 5 % d’exécution, c’est pas moi qui le dis c’est la Cour des comptes », a-t-il martelé.
Réponse de Gabriel Attal : « Vous avez vos chiffres, j’ai les miens. Eurostat, 2023 : la France a éloigné plus que l’Allemagne, les immigrants clandestins, quatre fois plus que l’Italie. Les données que vous présentez, elles datent. On n’est plus à 5 %, mais à presque 15. Là où je vous rejoins c’est que ça n’est pas suffisant, il faut qu’on soit plus efficaces sur ce sujet-là. […] Evidemment que l’immigration clandestine est un problème », a conclu le Premier ministre.
Plus de 11 % d’OQTF exécutées en 2022
Alors qui dit vrai ? Jordan Bardella se réfère à un rapport de la Cour des comptes publié le 4 janvier 2024, avec 2022 comme dernière année traitée. En revanche, les « 5 % » qu’il évoque ne concernent que les retours « forcés » de personnes visées par une OQTF. En comptant la totalité des départs (« remises » aux pays d’origine, retours volontaires et retours aidés), le chiffre avoisine 10 %, soit le double.
Pour 2022, c’est 15 400 sur un peu plus de 140 000 OQTF délivrées, dont 11 400 sous la forme de départs contraints ou de remises. Parmi les causes, la Cour des comptes désigne notamment la flambée du nombre d’OQTF délivrées, qui a presque doublé en cinq ans, avec des moyens qui n’ont pas suivi - notamment dans les préfectures et les tribunaux administratifs. La pandémie de Covid-19 a aussi joué un rôle, en asséchant considérablement les échanges internationaux - y compris migratoires.
Record d’Europe d’éloignements forcés
Pourtant, constate aussi la Cour des comptes, « la France est le pays qui procède au plus d’éloignements forcés de l’Union européenne : 11 409 éloignements forcés en 2022 et 18 915 en 2019, dernière année prépandémie ». Et c’est effectivement ce que montrent les chiffres européens d’Eurostat, cités par Gabriel Attal. Plus encore en 2023 : la France a bien procédé à 10 625 retours contraints, soit plus que l’Allemagne (10 290) dont la population est 25 % supérieure. Et 3,3 fois plus que l’Italie, à population comparable. Dernier chiffre, donné par le Premier ministre, et pour l’heure invérifiable : citant « la loi immigration, qui a donné à la France la possibilité d’expulser davantage », il a expliqué qu’elle avait permis d’augmenter « de +30 % depuis le début de l’année » les éloignements forcés.
Les deux adversaires sont toutefois tombés d’accord sur deux points : chacun a logiquement jugé problématique l’immigration clandestine, et que les chiffres actuels étaient « insuffisants ».
La PAF a-t-elle le droit de refouler les clandestins en Italie ?
C’est un autre point soulevé par Jordan Bardella : selon lui, « les policiers de la police aux frontières (PAF) de Menton (Alpes-Maritimes) n’ont pas le droit de refouler les clandestins en Italie », en raison « de la jurisprudence européenne, transposée par le Conseil d’État ». Réponse immédiate de Gabriel Attal : « C’est faux : il y a eu 3 000 refoulements à la frontière de Menton depuis le début de l’année ».
En réalité, le président du RN se réfère à une décision du Conseil d’État qui, au début de l’année, a annulé des articles du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Mais cet arrêt du Conseil d’État n’empêche pas aux agents de la PAF de refuser l’entrée à des migrants : il impose en revanche à « un étranger » qui « n’est pas en mesure de justifier de son droit de circuler en France » des droits comme l’accès à un avocat durant sa rétention « aux fins de vérification », dans un « temps strictement exigé par l’examen de son droit de circulation ou de séjour ».