Playstation, Xbox et PC Dustborn : le road trip de Red Thread Games carbure à la liberté
Du fond et des convictions : né grâce au soutien du studio français Quantic Dream, désormais investi dans l'édition, Dustborn invite le joueur à une virée façon road movie dans une Amérique uchronique où, face à la montée de la dictature, tentent de survivre les parias que le système a rejetés. Au-delà des défauts bien réels de la proposition, un concept narratif engagé, fort de quelques très bonnes idées.
22 novembre 1963 à Dallas. Un homme tire sur le président des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy. L'histoire, tout le monde la connaît, à ceci près que dans le monde de Dustborn, la victime, ce sera Jackie. La femme de JFK ne survit pas à ses blessures et de cette bifurcation surgit une autre Amérique, traumatisée, terrifiée, hantée par des démons qui la poussent dans les bras musclés d'un pouvoir dictatorial et policier. Sécessions, loi martiale... Ce sont les "Etats divisés d'Amérique", et en 2030, il n'y fait plus plus guère bon vivre, a fortiori lorsque l'on sort du moule validé par la "bonne" société.
Des parias qui veulent rêver
Les héros de Dustborn, justement, détonent et ont dû apprendre à se préserver de ce monde qui leur témoigne une franche hostilité. S'ils sont rejetés, ce n'est pas tant parce qu'ils sont non genrés, musulmans, lesbiennes ou un peu trop enveloppés, mais parce qu'ils sont des Anomes, des êtres dotés de pouvoirs depuis que la "Transmission", un signal émis depuis le centre du pays pour tenter de prendre le contrôle sur les populations, a eu sur eux des conséquences que personne n'avait anticipées. Aujourd'hui, ils sont des monstres aux yeux de la majorité, des parias alors que, pourtant, ils n'aspirent qu'à vivre leur vie en paix, en toute liberté.
Il en va ainsi de Pax, jeune femme dont le tempérament bouillant peut se retourner contre elle à chaque instant. Car Pax sait manipuler les mots pour les utiliser comme des armes. Elle peut imposer à ses interlocuteurs de faire ce qu'elle souhaite, se battre, physiquement, avec sa voix lorsque le besoin s'en fait sentir. Mais c'est une capacité qui fait d'elle un être pourchassé, et qui a lui a déjà coûté cher, par le passé. Pour ne pas perdre le contrôle, Pax doit donc se maîtriser, ne jamais se laisser submerger par des émotions qui, chez elle, peuvent tout emporter.
Dans son sillage, la petite équipe qu'elle compose avec Noam, Sai et Théo vit peu ou prou les mêmes difficultés. Les deux premiers ont des pouvoirs, eux aussi, tandis que Théo, le "papa" du groupe, est un humain non Anome, mais engagé dans le combat contre un pouvoir plus liberticide que jamais. Tous ces compagnons d'infortune ont trouvé leur planche de salut : quitter Pacifica et rallier la Nouvelle Ecosse, terre promise à l'Est. Ils profitent d'une mission qui leur est confiée par le groupe de résistance WEAVE, porter là-bas un "colis" qui semble éveiller bien des appétits, pour traverser la République d'Amérique. Il leur faut faire profil bas, alors c'est sous l'identité d'un groupe de punk, dans un bus affrété pour le voyage, qu'ils se lancent dans le trip. Le road movie ne sera pas de tout repos.
Inspiration Quantic
Dustborn installe ses enjeux au fil du voyage. Jeu narratif dans la droite veine de l'ADN des productions Quantic Dream (Heavy Rain, Beyond Two Souls, Detroit...), le dernier-né des studios Red Thread Games prend le temps de poser son univers en distillant doucement le contexte de l'épopée tandis que se déploient les trajectoires plus ou moins chahutées des personnages qui y sont associés. Le concept joue la carte de l'introspection, des flahsbacks pour donner de l'épaisseur à ses héros, à mesure que progresse le bus dans des terres où surnagent la peur, le rejet, les conséquences du réchauffement climatique et les manifestations violentes de "Justice", l'organe policier qui a mis le pays en coupe réglée. L'histoire de Dustborn se révèle alors façon impressionniste, dévoile ses secrets à celui qui sait chercher, observer cet univers au look typé comics, particulièrement arty et détaillé. Une narration environnementale travaillée, complétée par les apports des personnages secondaires qui rejoignent l'équipe au fil des étapes et ont bien souvent, eux aussi, un passé tristement cabossé à assumer.
Les Norvégiens de Red Thread Games ont beau miser pour l'essentiel sur la carte du visual novel, il y a un jeu, également, derrière l'histoire. Conçu comme une boucle ludique, (chaque étape du bus est l'occasion de découvrir les enjeux narratifs de la halte, d'enquêter, de combattre, parfois de jouer de la musique via un dispositif rythmique très agréable, qui rappelle celui de Guitar Hero), Dustborn limite volontairement ses possibilités avec l'intention de faire bien ce qu'il propose. Il en résulte des séquences de dialogues où se ressent la patte Quantic (chaque choix a potentiellement un impact sur la suite), mais aussi de vraies bonnes idées en termes d'action lorsqu'il s'agit pour Pax - et ses amis - de jouer des biscottos. L'héroïne développe notamment au fil du jeu une capacité à user de combos variés en maniant sa batte, mouvements enrichis par la palette croissante de possibilités que lui offre sa voix, capable de repousser, de blesser, d'assommer. La métaphore n'est surtout pas fortuite, on peut s'en douter.
Trop de dialogues, mais de belles idées
Il faut une douzaine d'heures, a minima, pour voir le bout de l'épopée. Une durée qui cache une gênante réalité : elle doit beaucoup à l'impossibilité de couper court aux discussions, parfois interminables, et à la forte propension de Dustborn à démultiplier artificiellement les choix narratifs, au risque de lasser. Le titre ne s'épargne pas, non plus, de coupables longueurs scénaristiques, s'attardant sur des scènes anecdotiques qui en disent certes long sur les personnages, mais témoignent aussi de l'inclinaison des auteurs à digresser parfois plus que de raison. La plus grande faiblesse de Dustborn se cache ici : à force de prendre son temps pour mettre en place son univers, pourtant fascinant, la proposition peine à créer la tension et à capter durablement l'intérêt.
Rédhibitoire ? Tout dépendra de ce que l'on vient y chercher. Dustborn parlera sans doute davantage aux amateurs de bonnes histoires qu'à ceux qui sont arrivés ici à la recherche d'un défi intéressant à surmonter. Red Thread Games a choisi de faire du joueur un spectateur plus que de l'inviter à manier la manette, et cela se ressent dans l'approche très littéraire de cette épopée où l'on parle, et parle encore, que ce soit dans un bus, au bord de la route ou autour d'un feu de camp. Il y a tant à dire, et si peu de temps...
Ceux que le parti-pris ne gêne pas trouveront dans l'expérience une indéniable satisfaction, nourrie de personnages vraiment attachants, et qui plus est joliment représentatifs de cette conviction des développeurs que le monde est riche de sa diversité. Par ailleurs victime d'une vaste campagne de dénigrement en ligne parce qu'il a décidé d'être inclusif (ses personnages sont représentatifs de diverses minorités), Dustborn a choisi son camp, et il l'assume fièrement. N'en déplaise à tous ceux qui véhiculent ces idées rances qui sont si tristement dans l'air du temps...
En bref
Dustborn, développé par Red Thread Games, édité par Quantic Dream, sur PC, consoles Xbox et Playstation.
On aime :
- La patte artistique du jeu, résolument inspirée par les comics américains
- Une histoire qui vient titiller habilement quelques lourds sujets d'actualité
- Des idées de gameplay, mine de rien, adroitement amenées
- Des séquences de guitare vraiment fun à jouer
On aime moins :
- Le jeu n'est pas exempt de bugs (notamment au niveau des commandes) et peut crasher à l'occasion
- Des dialogues vraiment trop longs, d'autant que les développeurs ne permettent pas aux joueurs de les zapper
- Quelques séquences facultatives qui ajoutent encore à l'impression d'une histoire un peu trop diluée