Désinfox Importons-nous vraiment « la moitié de l’eau consommée par les Français » ?
« La moitié de l’eau consommée par les Français est importée », affirme le dernier rapport d’Oxfam, titré La soif du profit et consacré à l’accaparement de l’eau par le secteur privé. De l’eau « importée », bue en France ? Attention, pour l’essentiel, il ne s’agit pas ici de l’eau que nous buvons, ni de celle qui alimente nos douches, remplit nos piscines, coule dans nos rivières. Même si le Rhin ou le Rhône ont leurs sources en Suisse.
Une « empreinte eau »
Sur le même modèle que « l’empreinte carbone », Oxfam désigne ainsi l’eau « virtuelle », consommée par les Français « indirectement » au cours du processus de production. Ainsi, selon Quentin Ghesquière, chargé de plaidoyer climat et coauteur du rapport d’Oxfam, dans une interview à franceinfo donnée vendredi, « il y a aussi une empreinte eau », qui s’élève à « 4 900 litres par jour » pour un Français - 30 fois plus que l’eau du robinet consommée. Soit près de 1 800 mètres cubes par an, dont la moitié est importée.
Or, face à la raréfaction de l’eau douce, l’ONG s’inquiète d’industriels prêts à « sécuriser leurs approvisionnements en eau coûte que coûte ». Quitte à la privatiser. En première ligne : l’agriculture - notamment l’irrigation, l’élevage et les agrocarburants -, l’énergie, l’exploitation minière, la fast fashion. « La production d’un seul jean utilise plus de 7 000 litres d’eau », rappelle Oxfam. Mais « cette soif sans fin des industriels a des conséquences dangereuses lorsqu’elle entre en concurrence avec les besoins vitaux des populations locales », rappelle Quentin Ghesquière. Et près de la moitié (43 %) des céréales produites dans le monde ne sont pas destinées à être mangées par les humains : 33 % servent à l’élevage, 10 % à produire des carburants.
La spirale infernale d’une logique « hydrocoloniale »
Oxfam dénonce « une logique hydrocoloniale », visant « à satisfaire les besoins de consommation des pays du Nord au détriment des pays du Sud. […] Le secteur privé s’empare de la ressource et la pollue au détriment des populations pour faire des profits, ce qui accroît encore les inégalités d’accès » à l’eau. En 2024, un humain sur trois a des difficultés d’accès à l’eau potable.
L’ONG dénonce aussi l’installation d’industries polluantes ou de mines gourmandes en eau dans des pays en situation de stress hydrique. Avec, souvent, « la protection voire l’encouragement des pouvoirs publics ». L’Éthiopie, par exemple, « a exporté pour 4,1 milliards de dollars de marchandises » - café, viande et… fleurs, alors qu’elle subit une sécheresse historique et durable. Le Kenya voisin a vu un lac asséché pour produire des roses exportées. Autre exemple, en Colombie, où la compagnie pétrolière Perenco utilise « neuf barils d’eau pour produire un seul baril de pétrole ».
L’eau en bouteille dans le viseur
L’eau en bouteille plastique n’est pas oubliée : inexistant il y a 50 ans, ce marché est « l’une des illustrations majeures de l’accaparement de l’eau par une poignée de multinationales privées », nous explique Oxfam. « Dans de nombreux cas, les entreprises misent clairement sur les pénuries qu’elles accentuent elles-mêmes, et sur la perte de confiance des consommateurs dans l’eau du robinet dont la qualité est diminuée par… la pollution industrielle ».
Pour réagir, Oxfam préconise de modifier notre régime alimentaire et nos habitudes de consommation « comme tous les habitants de pays industrialisés », de réguler par la loi l’usage de l’eau par les multinationales et de développer une agriculture plus sobre en eau. Pas seulement pour les produits importés : l’ONG rappelle que la France « gère encore sa ressource comme si elle était abondante » malgré les récents épisodes de sécheresse qui ont privé d’eau des centaines de communes en 2022 et 2023. Ainsi, en mai 2023 « Danone a par exemple continué à extraire de l’eau de la nappe de Volvic en toute légalité alors que, dans le même temps, des restrictions étaient imposées aux habitants locaux ».