Environnement « Je me sens coupable » : quand la surconsommation tracasse
Pas besoin d’être un “capitaliste anonyme” pour se sentir concerné par la surconsommation. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui a publié son tout premier baromètre sur la sobriété en mars, 83 % des Français considèrent que nous avons «tendance à accorder trop d’importance à la consommation matérielle » et souhaitent vivre dans une société où la consommation prend moins de place. 28 % des interrogés ont d’ailleurs le sentiment de « trop consommer ».
« Je suis dans une sorte de culpabilité »
Comme un écho au quotidien de Justine, 38 ans. Après avoir essayé de tendre vers la sobriété pendant de nombreuses années, la Lorraine avoue « avoir relâché un peu [ses] efforts dernièrement, pour aller vers la simplicité ». En cause, l’arrivée de sa fille, un déménagement, la reprise du travail… « Le gros drame, c’est Amazon, pour le côté pratique et la livraison ultra-rapide », déplore-t-elle. Et ce n’est pas tout. « J’ai un mari qui est un gros consommateur, un peu passionné de technologie », relève Justine, qui a eu droit au robot laveur de sol, au Thermomix et autres objets dont elle ne ressent pas le besoin. « C’est le genre de choses qu’il achète de manière intempestive. » Résultat : « Je suis dans une sorte de culpabilité, de tiraillement entre ma consommation et mes envies de sobriété », admet la jeune mère.
Un rapport à la consommation qui n’a rien d’étonnant pour le sociologue Patrick Pharo : « Le consommateur est constamment sous la pression d’offres nouvelles, qui viennent stimuler en permanence son système de récompense, qui est à l’origine de l’addiction. » Le chercheur date le début de cette fièvre consommatrice au XIXe siècle, « quand un certain nombre de commerçants se sont mis en tête d’étendre le marché et, pour ça, de trouver de plus en plus de clients ». S’il n’y a pas eu de nette progression du phénomène au fil des siècles, l’arrivée de nouvelles surfaces de promotion de ces offres, le numérique et les réseaux sociaux en tête, l’ont clairement alimenté.
Vos solutions pour moins consommer
Pour éviter de tomber dans la piégeuse spirale du consumérisme, nos lecteurs nous ont livré leurs conseils et astuces. Patricia, 60 ans, laisse toujours passer « une semaine ou deux avant d’acheter quelque chose ». L’Alsacienne a par ailleurs mis en place des règles au quotidien : pas d’achat avant de s’être « délestée d’un autre objet » ou s’il n’y a pas de place chez elle pour ce dernier.
Gwen, qui habite près de Grenoble, a mis en place la même stratégie pour « résister ». La quadragénaire ajoute : « J’essaye toujours de me poser les bonnes questions : Ai-je besoin de cet article ? Va-t-il être en promotion ? Est-il durable ? Où vais-je le mettre ? »
Pour Solène, 22 ans, près de Lyon, c’est carrément la technique de l’autruche, simple et efficace. « Je ne vais pas dans certains magasins car pas de tentation, pas de risque de craquer. Et si je dois y aller, j’y fonce tête baissée sans m’attarder sur ce qu’il y a sur les étagères. »
Nicolas, originaire de Nancy, a, lui, choisi de se replier sur les « friperies associatives, recycleries, magasins d’occasion et vide-greniers ». « Ça permet de répondre à la maladie qui me pousse à des achats compulsifs sans m’en rendre compte », poursuit-il. Et si ça ne suffit pas à lui donner « bonne conscience », il revend, donne ou fait du troc si l’objet n’a plus d’utilité.
Addiction rationnelle
Alexandra, 30 ans, en essuie les plâtres. Depuis quelques années, elle effectue régulièrement d’importantes commandes en ligne sur le site Shein, mastodonte de la fast fashion. « Rien que cet été, j’en ai fait deux, avec plein de tops, de robes, d’accessoires… Et à chaque fois, j’en ai eu que pour 100 euros, c’est imbattable. » Pour elle aussi, cette surconsommation fait émerger des sentiments contradictoires. « D’un côté, je me sens coupable, mais, d’un autre côté, comme je fais du 48, je ne trouve pas ma taille dans les magasins plus responsables. Je me sens désemparée », confie la Parisienne.
Reste une question : pourquoi développe-t-on de tels comportements addictifs avec des biens de consommation, à première vue très banals ? Pour Olivier Bomsel, économiste à Mines ParisTech, cela tient du caractère « rationnel » de l’addiction. « C’est un phénomène rationnel qui s’appuie sur la propension de la consommation passée à créer de l’appétit pour la consommation nouvelle », avance-t-il. Or, cette fonction est inhérente au système capitaliste et peut être directement « instrumentalisée par des agents économiques y ayant intérêt », conclut l’économiste.