Économie Licenciements, titres disparus... pourquoi les studios de jeux vidéo sont en difficulté
Professionnels et amateurs seront des milliers à se réunir à partir de ce mardi au Gamescom, à Cologne en Allemagne. Cette année, le plus grand salon du jeu vidéo au monde s’ouvre dans un contexte économique et social difficile pour le secteur.
La Gamescom, plus grand salon du jeu vidéo au monde, ouvre ses portes ce mardi à Cologne en Allemagne, dans un contexte particulièrement lourd, entre fermetures de studios et nombreux licenciements. La soirée de lancement doit présenter les futurs blockbusters, c’est-à-dire les jeux qui ont connu un succès exceptionnellement réussi avec une popularité généralisée, de la fin de l’année comme Indiana Jones et le Cercle Ancien ou le nouveau Call of Duty : Black Ops 6. La journée de mercredi sera consacrée aux professionnels, la grand-messe du jeu vidéo accueillera le public de jeudi à dimanche. Pendant quatre jours, professionnels et amateurs, parfois déguisés en leur personnage favori, vont se croiser dans les immenses halls de la Koelnmesse, où chaque studio dispose de son stand et permet aux visiteurs de tester les dernières nouveautés.
La France pas épargnée
Mais en coulisses, les studios font grise mine. Selon le décompte tenu par le site Game Industry Layoffs, au moins 11 000 professionnels du secteur ont été licenciés dans le monde sur les sept premiers mois de 2024, soit déjà plus que pour toute l’année 2023 (environ 10 500). Dernier exemple marquant : le développeur et éditeur américain Bungie (créateur des jeux Halo et Destiny), racheté par Sony en 2022, a annoncé le 31 juillet la suppression de 220 postes, soit 17 % de ses effectifs, « en raison de l’augmentation des coûts de développement et de l’évolution du secteur, ainsi que des conditions économiques ».
La France n’est pas épargnée. En avril, le studio lyonnais Mi-Clos a cessé ses activités après 10 ans d’existence et six jeux produits, laissant une trentaine d’employés sur le carreau.
Baisse des investissements
« Je vois des studios qui m’ont inspiré mettre la clé sous la porte et ça me terrifie, » confie David Rabineau, développeur français à la tête d’un studio indépendant, Homo Ludens, à Paris. Cet habitué du salon constate que désormais « les budgets sont plus faibles » et les éditeurs, qui financent la production des jeux, plus sélectifs. « Ils cherchent à prendre de moins en moins de risques », explique-t-il, ce qui a aussi des conséquences sur le contenu car « pour survivre, certains doivent développer des jeux moins risqués et donc moins innovants ».
Pour Stéphane Rappeneau, co-fondateur de Weirdloop et professeur d’économie du jeu vidéo à la Sorbonne, les éditeurs subissent de plein fouet la baisse des investissements privés, qui vont de plus en plus dans d’autres secteurs comme l’intelligence artificielle.
Jeux « trous noirs »
Le marché des consoles de jeux se trouve dans une position délicate « car les PlayStation 5 et Xbox Series ont dépassé leurs pics de vente » tandis que la Switch de Nintendo, sortie en 2017, approche la fin de son exploitation, constate Mat Piscatella, analyste pour le cabinet américain Circana. Il pointe également le poids pris par les jeux « trous noirs », ces mastodontes de l’industrie comme Fortnite, Minecraft, League of Legends, Roblox et Grand Theft Auto V (GTA), qui captent depuis des années une grande partie du temps et de l’argent des joueurs, au détriment des nouvelles sorties.
Selon le cabinet Newzoo, en 2023, les jeux publiés avant 2018 représentaient près de 61 % du temps total passé en jeu sur ordinateurs et consoles (hors Chine et Inde). Selon lui, l’arrivée l’an prochain de la console qui succédera à la Switch, ainsi que la sortie à l’automne 2025 du mastodonte GTA VI, attendu depuis plus de dix ans, devrait « ramener de nombreuses personnes au jeu vidéo » et redonner un coup de fouet à l’industrie. Près de 320 000 visiteurs s’étaient rendus à l’édition 2023 et les organisateurs espèrent bien renouer avec les chiffres de fréquentation pré-Covid, qui avoisinaient les 370 000 participants.
« Arrêtez de détruire les jeux vidéo » : un collectif se mobilise contre la disparition de titres
« J’aime les jeux vidéo et je ne veux pas que certains jeux disparaissent totalement. » L’initiative citoyenne a pour objectif de dénoncer des pratiques de certains éditeurs de jeux vidéo qui consistent à désactiver les serveurs en ligne d’un jeu après un certain nombre d’années, ce qui le rend inaccessible au joueur et donc inutilisable. Si cette « initiative citoyenne européenne » (ICE) réunit plus d’un million de signatures d’ici au 31 juillet 2025, l’exécutif européen sera obligé d’y apporter une réponse.
Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’arrêt par l’éditeur français Ubisoft, le 1er avril, de The Crew, un jeu de course automobile sorti en 2014 et qui comptait près de 12 millions de joueurs deux ans après sa sortie. Il a connu plusieurs suites depuis. Bien que jouable en ligne, The Crew dispose d’une partie « solo » que les joueurs pouvaient parcourir sans avoir besoin d’être connectés. Depuis la désactivation des serveurs, le jeu ne se lance tout simplement plus.
La pratique n’est pas nouvelle, mais elle concernait principalement jusqu’ici les jeux uniquement jouables en ligne, dont la fermeture des serveurs actait souvent leur disparition, comme ce fut le cas pour les titres Star Wars Galaxies (2003-2011) ou Warhammer Online (2008-2013).