Édito « Ne joue pas, vis »
Alain Delon, c’était un caractère. Ou, à l’anglaise, un character, un personnage à lui tout seul. Il avait suivi à la lettre les directives d’Yves Allégret, le metteur en scène qui lui a mis le pied à l’étrier dans le film Quand la femme s’en mêle en 1957 : « Sois toi, ne joue pas, vis ! ».
Aux antipodes des comédiens américains formatés par l’Actors Studio à se couler dans leur personnage, Alain Delon a passé sa vie à faire du Alain Delon. Avec brio souvent dans sa carrière professionnelle - surtout dans sa première partie -, avec un côté moins consensuel dans sa vie privée et dans ses propres productions cinématographiques.
À force de vivre ses rôles, l’acteur a joué sa vie. Le tueur à gages du Samouraï de Jean-Pierre Melville (1967), ou le malfrat de Borsalino , de Jacques Deray (1970), a fricoté avec le grand banditisme parisien sans s’en cacher. Jusqu’à être inquiété dans l’assassinat de son garde du corps, Stefan Markovic.
Il a collectionné les amours dans la vie comme à l’écran, symbole vivant d’un machisme assumé. Sa beauté farouche, l’azur rebelle de son regard, sa démarche féline lui ont offert les plus grands rôles - et les plus mauvais quand il jouait à être lui-même. L’acteur troublant, insondable, mystérieux de La piscine (Jacques Deray, 1969) s’est peu à peu pétrifié. Il est devenu, dans sa vie comme sur l’écran, comme un condensé brut de ce qui avait fait son succès.
Des prises de position abruptes, des amitiés complexes revendiquées, des amours tumultueuses, mais aussi un immense attachement à ceux qui lui montraient leur amour, des sentiments à fleur de peau.
Familialement, la fin de sa vie a été, malgré lui mais comme en écho à sa biographie, agitée. Elle a semé les graines d’un nouveau scénario noir, celui de son héritage. Alain Delon sera acteur de sa mort comme il l’a été de sa vie.