Désinfox Peut-on « fouiller le téléphone » de ses enfants, comme le réclame une ministre?
Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté et de la Ville, a défendu mardi « le droit » pour les parents de « fouiller le téléphone » de leurs enfants mineurs. Une affirmation qui fait débat.
C'est une séquence qui a suscité beaucoup de réactions : mardi matin, la secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville Sabrina Agresti-Roubache était dans les 4V, sur France 2.
« Un adolescent est mineur »
Elle y a défendu « l'autorité » des parents - en droite ligne avec les positions affichées par le Premier ministre Gabriel Attal ces dernières semaines. « C'est aussi la maman qui vous parle », a-t-elle lancé à Thomas Sotto, avant de rappeler aux parents que « l'autorité c'est vous ».
Et de poursuivre : « Je veux revenir sur quelque chose qui me frappe ces dernières années : c'est de penser qu'un adolescent a une vie privée. Un adolescent est un mineur. Donc les parents ont le droit de fouiller dans le téléphone, de chercher quelque chose dans la chambre. »
« Ce qui est dingue c'est qu'on a dit "attention ils ont le droit à avoir leur vie privée". Non ! », a insisté la ministre.
La vie privée, même des mineurs, est protégée
Et pourtant : les textes sont plus nuancés, mais contredisent plutôt Sabrina Agresti-Roubache.
Il y a d'abord l'article 16 de la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par 197 États dont la France en 1990. Ce texte - le plus largement ratifié au monde - prévoit que « nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ». Et que par conséquent « l'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».
Une loi renforcée en février
De fait, la loi française protège la vie privée de l'enfant : l'article 371-1 du Code civil dispose que « l'autorité parentale » constitue « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Il précise aussi que celle-ci « s'exerce sans violences physiques ou psychologiques » et que « les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».
Cet article a même été renforcé en février dernier, afin de mieux protéger... la vie privée des mineurs ! Il se réfère à l'article 9 du même code civil selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée » - sans aucune distinction d'âge.
Car la vie privée des mineurs constitue bien une réalité juridique, comme l'a rappelé la Défenseure des droits Claire Hédon dans son rapport de 2022. Et pourtant : « Bien qu’assis juridiquement, ce droit est peu reconnu en pratique et trop souvent bafoué », déplorait-elle.
Une question d'équilibre
Dès lors, tout est une question d'équilibre selon « l'âge et le degré de maturité » de l'adolescent. Avec une seule boussole : sa propre protection. Et c'est d'autant plus compliqué pour des jeunes proches de la majorité, reconnaît Claire Hédon. Qui regrette que « l'accès aux outils de correspondance, et notamment au smartphone » ne soit « pas davantage règlementé ». Avec pour résultat « des pratiques très variables » et l'idée fausse qu'un mineur n'a pas de vie privée.
Mais cités dans le rapport, les experts en psychologie de l’enfant sont unanimes : soulignant que le respect de la vie privée est « crucial pour le développement de l’autonomie et de la confiance », ils recommandent aux parents le dialogue et l'instauration de règles claires plutôt que de recourir à la surveillance clandestine.
La confiance en question
Sur les réseaux sociaux, de nombreuses réactions font état de la perte de confiance envers les parents s'ils s'immiscent trop dans l'intimité de leurs enfants.
« Fouiller dans le téléphone d'un adolescent est le plus sûr moyen de couper complètement vos liens avec lui, et plus largement sa confiance dans les adultes », s'indigne une professeure sur X. « Ne faites pas ça. L'autorité, ce n'est pas apprendre à des enfants qu'on peut violer leur intimité », abonde une autre internaute. Quelques rares réactions saluent toutefois les propos de Sabrina Agresti-Roubache, mais sa phrase a très majoritairement choqué.
« Mesures intrusives »
Et ce jusque dans la majorité présidentielle : le député Eric Bothorel a pris ses distances :
Il estime que par ses propos, Sabrina Agresti-Roubache encourage des mesures « intrusives dans l'intimité de la vie d'un enfant, d'un ado ».